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Commissaire Mira

LE CON, LA PUTE ET LE CONFINEMENT



J’en peux plus de ces minots, y me rendent fou ! Je te le dis moi, c’est pas que en Réa qu’on va manquer de lits, en psychiatrie aussi y va bientôt y avoir pénurie ! Un mois et demi que je me les encape tes gosses ! Pas assez que je leur fais à bouffer à ces morfales, que je doive me taper des jeux de société à la con, tous les jours ! Pas assez qu’ils hurlent du matin au soir, qu’y se disputent, qu’y me chantent du Soprano à tue-tête ! Et je te passe la putain de pâte à sel ! Mais en plus y faut que je leur fasse l’école ! Tu t’en rappelles toi de la trigonométrie ? Bien la preuve que ça sert à rien non ?! Et la conjugaison ? Tu t’en rappelles toi de la conjugaison ? Alors autant te le dire sans détour : les antérieurs du sujonctif, je m’en tape, je m’en tape plus que parfaitement, je m’en tape de manière impérative, tu entends ? En un mot, je m’en tape présentement comme je m’en taperai dans le futur, et y’a plus de conditionnel, vu ?
Je deviens fou ma Loulou, je deviens fou… Y faut que j’aille à la pêche. On a le droit d’aller à la pêche ?

......


Tout est dans le titre… Une histoire de prostitution en pleine crise sanitaire.
Que te dire de plus, qui est le con ? Promis, ce n’est pas toi



Extrait :

Inévitable…

23 mars 2020 – 8 h 50


Impossible d’éviter le sujet, de faire comme si tout était normal. Impossible surtout d’envisager de te pondre un nouveau bouquin sans aucun lien avec le choc interplanétaire du moment.
Quand tu liras ces pages, tout sera derrière nous . Nous aurons sans doute eu des malades dans notre entourage, malheureusement peut-être des morts ; peut-être même aurons-nous été touchés personnellement par cette saleté de Covid mais oui, quand tu liras ces pages , tout sera terminé. Nous aurons toi et moi échappé à la maladie, c’est le mieux que je puisse nous souhaiter, à moi bien entendu mais à toi aussi, du fond du cœur .
Que te dire de mon quotidien en cette pé-riode de confinement ? Commençons par toi si tu veux bien avec l’analyse de tes propres jour-nées : grasses matinées, petits-déjeuners en fa-mille, crises de nerfs avec tes gosses, innom-brables publications sur Facebook, Instagram, engueulades avec ta femme (ou ton mec, ou les deux), petites courses à la superette du coin, télévision et news en boucle, partages de vi-déos… sans oublier le rendez-vous quotidien du soir où tu sors applaudir nos soignants his-toire de leur donner le moral. Ajoutons à cela la promenade du chien et nous avons une vision assez complète de ton planning. Comme tu dois te marrer !
Et surtout ne va pas me faire croire que cette situation te perturbe ou te pose un pro-blème de conscience, on ne me la fait pas. Tu pries plutôt pour qu’elle perdure le plus long-temps possible, tout pour reculer le jour fati-dique où il faudra retourner au bureau . Belle mentalité…
Maintenant, mon quotidien. Soyons clairs, tout le contraire du tien…
Parce que moi très cher, je bosse. Pour-quoi ?

Parce que visiblement les crapules sont immunisées, des patients du Dr Raoult sans doute.














I.



25 avril 2020 – 18 h 32


Rien ne va plus chez les Louis. Pour les nouveaux venus, de plus en plus nombreux ce qui n’est pas pour me déplaire, je vais présen-ter en quelques mots cette tribu. Mais que cela ne vous dispense pas pour autant de lire les précédents tomes de la série, condition sine qua non pour faire partie de mon clan.
Les Louis donc : Frédo le mari, père au foyer et travailleur multi tâches à l’insu du FISC, patience d’ange, brave mec et époux exemplaire ; cinq enfants, tous portant les ini-tiales J. L. pour des raisons pratiques et logis-tiques et tous dotés d’une seule et même mar-raine, moi. Enfin Louisette, dit Loulou, ma su-bordonnée et meilleure amie. Inutile de te la décrire, tu vas très vite comprendre.
Six semaines déjà que tout ce petit monde cohabite et j’imagine parfaitement l’ambiance qui règne à la maison pour la simple et bonne raison que je m’y suis installée depuis une bonne dizaine de jours. Pour être tout à fait exacte j’habite dans l’annexe, au fond du jar-din, afin d’éviter toute contamination éven-tuelle mais surtout afin d’échapper aux hurle-ments de la mère de famille, hurlements qui ar-rivent cependant sans problème jusqu’à mes appartements…
Pourquoi je suis là ? J’ai bien envie de ré-pondre que cela ne te regarde pas mais comme ça fait pas mal de temps que tu t’impatientes de nos retrouvailles, je veux bien consentir un pe-tit effort. Dans le cadre de nos missions, aucun des membres n’est concerné par le dispositif de confinement et nous pouvons aller et venir sans rien changer à nos habitudes, dans le respect des consignes, gestes barrières et indispen-sables distances proscrivant toutes les démons-trations d’affection très prisées à Mar-seille … Munis de nos attestations, tous les déplacements sont autorisés mais afin de proté-ger notre fils, Lino et moi avons jugé préférable de le confier à sa Tante Gina. Du coup, déchar-gé de ses responsabilités de père, Lino s’est senti poussé des ailes et, chasse le naturel il revient à la nage , a « renoué des liens » avec ses anciennes morues via quelques messages privés et autres textos que, tu me connais, j’ai découverts sans trop de difficultés… Du coup, les assiettes ont volé, il s’est barré, j’ai pris mes cliques et mes claques et j’ai débarqué chez Loulou sans crier gare. Ben oui, pourquoi rester seule alors que je peux, sans risquer de conta-miner ses gosses, profiter de Loulou à plein temps ? Le matin on part bosser ensemble, lais-sant Frédo gérer les enfants, ce qu’il fait d’ailleurs déjà toute l’année de façon exem-plaire.
Mais en temps normal, il y a école… Fré-do a beau être patient, ses nerfs commencent à lâcher.

Dix-huit heures et trente-deux minutes, Loulou et moi franchissons le portail. Malgré les fenêtres de la Mini totalement fermées, une clameur arrive jusqu’à nous tels les soirs de grand match dans les environs du stade Vélo-drome. À peine le temps de couper le contact que Frédo déboule dans le jardin en hurlant :
- J’en peux plus ! J’en peux plus de ces minots, y me rendent fou ! Je te le dis moi, c’est pas que en Réa qu’on va manquer de lits, en psychiatrie aussi y va bientôt y avoir pénurie ! Un mois et demi que je me les encape tes gosses ! Un mois et demi ! Pas assez que je leur fais à bouffer à ces morfales, que je doive me taper des jeux de société à la con, tous les jours ! Pas assez qu’ils hurlent du matin au soir, qu’y se disputent, qu’y me chantent du Soprano à tue-tête ! Et je te passe la putain de pâte à sel !!! Mais en plus y faut que je leur fasse l’école ! Tu t’en rappelles toi de la trigonomé-trie ? Moi non plus… bien la preuve que ça sert à rien non ?! Et la conjugaison ? Tu t’en rap-pelles toi de la conjugaison ? Alors autant te le dire sans détour : les antérieurs du sujonctif, je m’en tape, je m’en tape plus que parfaite-ment, je m’en tape de manière impérative, tu entends ? En un mot, je m’en tape présentement comme je m’en taperai dans le futur, et y’a plus de conditionnel, vu ?
Sur ces paroles, il se laisse tomber sur la pelouse, lève les yeux vers sa femme et déclare dans un souffle :
- Je deviens fou ma Loulou, je deviens fou… Y faut que j’aille à la pêche. On a le droit d’aller à la pêche ? Dans la liste j’ai vérifié, je cocherai Déplacement pour motif familial impé-rieux… Si y ont laissé les tabacs ouverts, y peu-vent pas fermer la pêche…

Loulou, jusque-là tranquille avec sa cons-cience, blanchit à vue d’œil. La détresse de son mari lui fait réaliser qu’elle a sans doute pré-sumé de la patience de son homme et qu’il est peut-être temps pour elle de poser quelques jours de congés. Non qu’elle soit plus douée que lui en matière d’enseignement à domicile mais la survie de son couple en dépend. Ten-drement, elle enlace Frédo et s’apprête à lui faire mille promesses quand nos téléphones vibrent simultanément. Un texto vient d’arriver, et pas n’importe lequel : le Grand chef en per-sonne nous prie de le rejoindre à son domicile.
Le Grand Chef, je te l’ai présenté dans mon dernier chef d’œuvre et si ta mémoire est encore bonne, tu sais qu’il ne fait jamais appel directement aux hommes de terrain mais laisse ce soin à nos supérieurs directs. Personne n’a de contact avec lui, il refuse les familiarités et le tutoiement, son bureau est inaccessible au commun des mortels et enfin il ne sourit qu’en cas de nécessité absolue, et toujours sans té-moin.
- Ho, c’est Philou ! s’étonne Loulou en se redressant vivement sur ses pattes.
Puis, sans la moindre transition, ni expli-cation, ni excuse ni même un semblant de re-mords :
- Frédo, promis on en reparle quand je re-viens. Tu sais, tu devrais un peu te reposer, tu as pas bonne mine, c’est pour ça que tu craques. Ma foi, c’est la fatigue !
Enfin, elle ajoute avant de remonter en voiture, pouce levé :
- Et pour la conjugaison y faut plus que tu te fais du mouron, je m’en occupe… Forme pronominale !
Et là, une fois dans la voiture, elle répète ces derniers mots en hurlant de rire, tandis que je la regarde, stupéfaite :
- Je m’en occupe, forme pronominale ! Avoue qu’elle est bonne celle-là ! C’est ça hein, je me suis pas trompée, c’est la bonne forme ? ajoute-t-elle légèrement inquiète.
- Tout à fait correct, mais franchement tu exagères, ton mari est à bout…
- À bout ? À bout de quoi ? Tu crois que c’est de faire cuire un plat de pâtes, de corriger deux problèmes à la con ou de laver le linge qui le fait craquer ? Et bé tu le connais mal mon homme. Non, ce qui le fait craquer c’est de me savoir dehors avè le virus qui rôde. Tu vois pas, y devient fou avè BFM en boucle du matin au soir. Avè l’autre et sa tronche de croque-mort qui nous fait le décompte quotidien de l’hécatombe. Tellement il est attentif il com-prend même sans le son, avè le langage des signes de la gonzesse à côté. Que veux-tu que je te dise, Frédo y m’aime trop, c’est ça son pro-blème, et y’a pas de vaccin contre ça.
Puis, prise de remords :
- Demain, si tu veux bien je resterai avè lui… Enfin, ça va dépendre de Philou, à savoir ce qui nous veut, c’est bizarre non qu’y nous appelle ?
Cette question n‘attendant pas de réponse, nous roulons sans autre commentaire vers Saint-Giniez, quartier où réside Philippe Ipou-rat, le numéro Un de la police marseillaise.
Bien que cela dure depuis presque deux mois, je suis encore impressionnée par l’atmosphère qui règne dans la ville. De la Pointe rouge jusqu’à David, les bords de mer sont totalement vidés de leurs voitures et pro-meneurs. Puis l’Avenue du Prado, désertée elle aussi, entièrement à nous. Parfois, on peut aper-cevoir quelques personnes sorties pour un jog-ging, ou avec un sac de provisions à la main. Les masques dont l’usage nous semblait telle-ment surréaliste, voire comique, voilà qu’on se les arrache.
Mais le plus incroyable, c’est ce silence. La nuit en plein jour. Pire que ça même. Le temps est comme suspendu, tout s’est mis sur Pause : les moteurs de voiture, le vrombisse-ment des deux-roues, les cris des enfants, les rires aux terrasses, les engueulades… les ba-teaux aussi restent au port, plus une corne de brume ne se fait entendre sur la mer aussi tai-seuse que ma ville. C’est juste effrayant. Seul nous parvient le ricanement les mouettes, me-naçant et vainqueur. Il y a quelques semaines seulement, nous observions à la télévision les rues des grandes villes chinoises comme des scènes de science-fiction… Et bien nous y sommes, bienvenue au troisième millénaire !


25 avril – 19 h 28

Avant de sonner pour annoncer notre arri-vée, j’implore Loulou de se montrer respec-tueuse envers notre supérieur, d’éviter de l’affubler de ce surnom stupide de Philou et surtout de ne pas le tutoyer. Il est vrai que tous les deux entretiennent une relation particulière (et unique dans la maison) mais il ne faudrait pas que ma subordonnée en abuse. Si tu as lu mon dernier bouquin, tu as pu être témoin de son comportement plus que déplacé envers le Chef, d’où mes mises en garde.
- C’est ça qui t’inquiète, dit-elle en enfi-lant une paire de gants chirurgicaux, laisse-moi plutôt sonner et ne touche pas les portes, ni les boutons de l’ascenseur... Et puis, tiens-toi loin de moi ! Pour le reste, ajoute-t-elle, vexée, con-trairement à toi j’ai une Attestation dérogatoire de familiarité dûment signée !
À peine sorties de la cabine, une porte à double battant s’ouvre et Philippe apparaît, s’effaçant largement pour nous laisser entrer, veillant ainsi au respect des distances de sécuri-té. Vêtu d’un pyjama de marque dissimulé sous une robe de chambre assortie en soie bleu nuit il nous salue, nous invitant à le suivre dans le salon. Ses traits tirés nous rappellent son hospi-talisation récente dont visiblement il ne s’est pas encore remis. Café chaud et petits gâteaux sont à notre disposition sur la table basse mais, trop intriguée , je l’interroge sans perdre plus de temps quant aux raisons de cette convocation tardive. Soulagé de ne pas avoir à entrer dans des échanges futiles, il ôte ses lunettes et s’explique enfin.
Depuis sa sortie de l’hôpital où il fut ad-mis pour une opération de l’épaule faisant suite à un accident de voiture, sa nièce, infirmière libérale, venait quotidiennement à quatorze heures pour refaire ses pansements. Or cela fait deux jours qu’elle n’a plus donné signe de vie et ne répond plus à aucun appel ; son associée elle-même est à ce jour sans nouvelle.
- Je suis bien conscient du ridicule de la situation : vous faire venir ici, en dehors de vos heures de travail, en cette période si particu-lière, alors que la majorité de nos concitoyens sont priés de rester chez eux, et ce juste parce que ma nièce a disparu, peut sembler quelque peu déraisonnable…
- Voui, coupe Loulou. Si ça se trouve elle est tombée malade, ou elle a eu un petit acci-dent, on va vérifier avè les hôpitaux. Elle a quel âge la petite ?
- Vingt-sept ans.
- Voui… Mariée ?
- Non, célibataire.
- Voui… Alors te fais pas de mouron, elle a craqué sous la pression du moment et elle se prend un peu de bon temps avec un bon ami… Elle doit compter sur son associée pour prendre la relève avè ses patients, non ?
- Oui effectivement, de ce côté-là c’est réglé, mais ce n’est pas son genre, je vous as-sure, pas son genre de tout…
- Philou — coupe celle qui va bientôt re-gretter de ne pas avoir pris en compte mes aver-tissements — je pense vraiment que tu te fais du mouron pour pas grand-chose…
- Inspecteur Louis ! hurle-t-il en se dres-sant face à elle, furieux. Pensez-vous vraiment que je sois homme à me faire du mouron sans raison valable ? Pensez-vous que mes fonctions ne m’ont pas habitué à me faire du mouron sans pour cela alerter la cavalerie ? Vous aurais-je convoquées à mon domicile, qui plus est en me présentant à vous en tenue d’intérieur, simple-ment parce que je me fais du mouron ?
- Heu… Calme-toi… insiste cette folle suicidaire.
- Taisez-vous ! Dehors, les infirmières sont menacées, agressées, violentées, parfois simplement pour quelques masques et autres matériels médicaux dont la pénurie n’est un secret pour personne ! Les hommes deviennent des animaux ! Si j’affirme que cette disparition est inquiétante c’est qu’elle l’est bon sang ! Je connais Babeth, donc si quelqu’un doit se faire du mouron ici, c’est vous Inspecteur Louis ! Il est temps que je vous recadre car il y a une hié-rarchie et j’entends, à compter de cette minute, que vous la respectiez !
Puis, à mon attention :
- Commissaire, voici des informations sur Babeth qui vous seront utiles, je vous ai ras-semblé l’essentiel dans cette pochette, certains des documents m’ont été transmis par son asso-ciée. Je ne vous demande évidemment pas de vous en charger personnellement mais faîtes scanner tout ça et transmettez aux différents services compétents. Supervisez et tenez-moi informé de la moindre avancée. Varesi m’a as-suré de votre implication, je compte donc sur vous.
Voilà, l’entretien est terminé.
Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je n’ai pas prononcé un seul mot. Nous suivons Philippe jusqu’à la porte d’entrée qu’il ouvre avant de s’écarter prudemment pour nous céder le passage. Là, alors que n’importe qui aurait fait profil bas, Louisette épouse Louis se re-tourne vers son ex-chef vénéré et balance les mots qu’elle ne peut plus retenir :
- Que vous nous faîtes venir le soir pour une disparition éventuelle, je peux le com-prendre, que vous nous recevez en pyjama c’est pas moi que ça choque le moins du monde, que vous êtes inquiet pour Babeth, bien sûr que c’est logique. Que vous pensez que j’ai pas le respect de la hiérarchie, même si ça me fait peine, passe encore, mais que vous me gueulez et postillonnez dessus sans le moindre respect des distances de sécurité ça, Monsieur de Di-recteur, c’est pas pardonnable . Avè tout le res-pect que je vous dois !

Crois-moi ce n’est ni de la colère, ni de la vexation, mais juste une profonde et sincère tristesse qui va ronger très longtemps le cœur de ton héroïne préférée. Ignorant l’ascenseur qu’elle aurait été forcée d’attendre sous nos yeux ahuris, elle dévale les escaliers et nous signifie sa sortie par le claquement lourd de la porte cochère. Je me tourne alors vers Philippe et hausse les épaules d’un air désolé en le ras-surant du regard ; elle va se calmer, c’est juste une question de temps.
Cela étant dit, c’est moi seule qui vais de-voir affronter l’ouragan Loulou. Allume la télé, tu vas le voir déferler en rouge sur la carte mé-téo, menaçant toute la région PACA.

Ne sachant trop comment entamer la con-versation, je m’installe dans la voiture et ouvre le dossier Babeth tandis que Loulou met le con-tact. J’y trouve une liste de noms et numéros de téléphone, des copies de son agenda des trois dernières semaines, quelques photos, des ren-seignements administratifs et des informations sur sa famille et ses loisirs.

- Bon, tu vas faire la gueule longtemps ? lance-je en refermant vivement la pochette. Je n’y suis pour rien moi et même si je sais que je prends des risques en disant ça… je t’avais prévenue.
- Y’a l’adresse de l’associée dans tes pa-piers ? répond-elle sur un ton neutre.
- Oui, mais on doit juste superviser, pas aller sur le terrain.
- C’est où ?
- Après tout, si tu insistes… murmure-je resignée.
Puis, ne pouvant me résoudre à clore le débat :
- Il t’a vraiment postillonné dessus tout à l’heure ? Pas mal de gens lui rendent visite…
- Mais y peut même me rouler un patin si y veut, qu’est-ce que j’en ai à foutre ! lâche-t-elle en gesticulant sur son siège. Non… j’ai dit ça parce que j’ai rien trouvé de mieux pour le faire culpabiliser. Et puis, je suis sûre de l’avoir déjà eu le Covid. On peut pas l’avoir deux fois, pas vrai ?
J’aimerais la rassurer mais rien ne permet-tant de le faire à l’heure actuelle, j’élude et entre l’adresse demandée sur le GPS. Une fois l’itinéraire affiché sur le portable, elle replonge dans un mutisme total que cette ville morte tra-versée à vive allure rend encore plus pesant.

Je t’en reparlerai plus en détail mais, sou-cieuse de partager avec toi mes pensées, j’ai envie de te dire celles qui me traversent alors l’esprit face à ma ville désormais quasiment morte.

L’histoire se montre parfois d’une ironie bien sarcastique. Nous sommes en 2020. En 1720, il y a exactement trois cents ans, Mar-seille entrait dans l’épisode sanitaire le plus noir de son histoire :La Peste. Venue par bateau de l’autre bout du monde, elle envahissait les rues, tuant mille habitants par jour et décimant au total la moitié de la population, semant la terreur pendant de longs mois. Je sais, tu n’as pas acheté ce bouquin pour prendre un cours d’histoire et encore moins pour te plomber le moral mais vois-tu, confrontée à ce calme fu-neste, je ne peux m’empêcher de comparer ces deux évènements ni de penser à ceux qui, il y a de cela trois siècles, ont vécu un confinement bien plus terrible encore. Comme nous, plus possible d’enterrer leurs morts, comme nous, une économie à l’arrêt, comme nous, l’interdiction absolue de faire entrer qui que ce soit à son domicile, comme nous, des gestes barrières à respecter (imagine les consignes pour lutter contre la peste…), le tout il y a trois siècles, sans nos moyens de communication, sans nos prouesses scientifiques, sans télévi-sion ni même radio… Bref, je m’interromps ici sinon tu vas m’envoyer paître. Mais difficile de ne pas établir de lien non ?
Je reviendrai sur le sujet un peu plus loin, avec avertissement afin que tu puisses sauter le chapitre si vraiment tu n’en as rien à foutre…

- Tu penses à Lino ? demande Loulou, certes contrariée mais non pas au point d’en oublier ses priorités .
- À une calamité dans le genre oui…
Du coup, la gueuse reprend du poil de la bête :
- Moi aussi je t’avais prévenue. On le connaît le Varesi, y peut pas s’en empêcher ! Un tombeur ça reste un tombeur, c’est comme qui dirait dans ses gènes. Et toi tu fais l’étonnée ? Franchement, qu’est-ce qu’il a fait de mal ? Des réponses par textos un peu limites à des pétasses qui lui courent après depuis qu’elles z’ont rien d’autre à foutre, toutes seules entre quatre murs ? De toutes les façons, qu’est-ce que tu risques : un mètre cinquante de distance ! Ne me dis pas que c’est dans ses cordes quand même, sinon je serais bien cu-rieuse de voir ça…en tout bien tout honneur !
Il me faut quelques secondes avant de sai-sir l’allusion salace de ma copine. Elle récupère vite tu ne trouves pas ? Du coin de l’œil elle guète ma réaction et me donne un coup de coude sur le bras en éclatant de rire :
- Alors, y peut le phénomène ?
Comme je reste de marbre, elle renchérit :
- Allez, fais pas la gueule toi non plus, on va retrouver la nièce à Môssieur le Directeur et leur clouer le bec à ces bouffons !


Mirabelle Barane aux Editions du Vallon.
ISBN : 978-2-9294910-9-4
Prix : 10.00 euros

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Commissaire Mira
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